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Burn down the mission
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3 avril 2006

Happiness is a White Album

D'abord l'album. Le double. Le blanc.
             Depuis "Sergent Pepper" et son succès incontesté, le groupe ne va pas fort. Trop de succès, trop de drogue, la chanson classique. Paul McCartney, qui prend un peu moins de drogues que les autres, maintient l'entreprise Beatles, coûte que coûte. C'était d'ailleurs lui qui a patronné la réalisation de "Sergent Pepper", qui porte son empreinte jusque dans une chanson que Lennon n'arrivait pas à finir, A Day in the Life (l'écriture à deux étant quasiment terminée depuis Rubber Soul). Il était aussi à l'origine du projet Magical Mystery Tour.

           Les chansons du "White album" furent principalement écrites en Inde, où les Beatles partirent méditer. Mais ils y écrivirent chacun dans leur coin et ils revinrent assez sérieusement brouillés. L'ambiance des sessions d'enregistrement fut donc explosive : engueulades entre Paul et George, entre John et le reste du groupe, pluie d'insultes sur les techniciens qui iront jusqu'à quitter l'enregistrement. Ringo aussi. Tout cela sent la décomposition. En 1970, l'album Let it be sera le faire-part de décès du groupe. La couverture l'annonçait, les titres le confirmait. Mais le double album était déjà blanc comme un linceul.

          Lester Bangs a dit qu'il s'agissait du « premier album de l'histoire du rock par quatre artistes solo dans un groupe ». C'est qu'en 1968, John, Paul, George et Ringo regardent l'objet Beatles en se demandant un peu de quoi il s'agit. Et ils ne le savent plus très bien. McCartney aimerait continuer à diriger, Harrison se sent prisonnier et Lennon semble parfois chercher à décomposer le groupe. Et cette fois-ci, c'est plutôt l'esprit de ce dernier qui va l'emporter.

          Yesterday ressemble maintenant à un mensonge, Help à un acte manqué, "Sergent Pepper" paraît aussi chiant qu'un sommet atteint. Là où les précédents albums cherchaient la cohérence, traduisait un sentiment global, les Beatles se livreront maintenant au désenchantement et à l'éclatement.

Chanson traditionnelle, rock des 50's, folk naïf.

hard avant le Hard. punk avant le Punk. grunge avant le Grunge.

Les clins d'oeil narquois à l'actualité (Back in the USSR, Revolution) côtoient la nostalgie de l'enfance (Julia, Good Night), et les douces ballades (Mother Nature's son, Martha My Dear) alternent avec de nombreux cris (Helter skelter, Everybody's got something to hide except for me and my monkey). George fait pleurer sa guitare, John chante qu'il veut mourir, Paul célèbre la nature et Ringo chante une berceuse. Le résultat est tragicomique, personnel mais généreux, vaguement autiste tout en offrant de nouvelles perspectives. Complexe, il reste sans doute aujourd'hui le plus important legs de ceux qui ont changé plusieurs fois la musique du XXe siècle.

           Comme tout y est fait en même temps, on n'y mettra pas de sale étiquette. En guise de pochette, le vide blanc et un titre en relief. Pas besoin des yeux. Une image ne ferait rien comprendre, mieux vaut la neige...
Résolument postmoderne, le White album ne veut pas correspondre.

whitealbumlp2

Happiness is a warm gun, encore plus blanc que blanc

                Comme une déclaration d'intention, cette chanson montre un Lennon éclaté et éclatant.

             Lennon est parti d'un affreux slogan publicitaire de la NRA (« Happiness is a warm gun in your hand ») pour faire une chanson à plusieurs niveaux de lecture. Il ne s'agit pas que d'un simple foutage de gueule en règle des cinglés du flingue. Le gun, c'est aussi la piquouze (« I need a fix 'cause I'm going down »), celle qui permet d'oublier la recherche de sens et l'absurdité du monde et qui a sans doute fourni les premières lignes de la chanson, un peu tristes. C'est aussi le sexe (« when I feel my finger on your trigger ») qui peut servir à la même chose, de manière toute aussi furtive, et sans éviter une certaine violence, ce qui nous renvoie à la première lecture. Une chanson qui parle par fragments et dont certains fragments ne nous parlent pas vraiment (« Mother Superior jump the gun », répété plusieurs fois, fait référence au surnom que Lennon donnait à Yoko Ono).


           La structure de la chanson répond à ce mélange ambigü : ça commence comme une ballade douce-amère à la fatigue latente (les mots y renvoient d'ailleurs à ceux de Lucy in the Sky with Diamonds, ou de I am the Walrus, déjà écrits par Lennon), ça enchaîne sur du blues désenchanté (« I need a fix cause I'm going down »), puis sur du rock énervé (« Mother superior »...), et à la fin Lennon pousse dans les aigus et crie « Hapiness is a warm gun » comme un orgasme, alors qu'on entend les autres faire « Bang-bang shoot-shoot » derrière... En moins de trois minutes, Lennon est passé de lui-même à ses racines musicales, pour finir par crier pendant que des choristes chantent des onomatopées. En vingt lignes, Lennon le pacifiste dit être affublé de passions violentes. Lennon des Beatles refuse de délivrer un message clair. Lennon le poète dit qu'il a besoin de baiser (McCartney propose de faire ça sur la route, dans une autre chanson...).

             Il a fallu presque 100 prises pour qu'il en soit satisfait. Quatre changements de style en une chanson qui garde pourtant une cohérence très forte, quel impact ! Thom Yorke en est dingue, bien sûr, le coup de génie d'OK Computer, Paranoid Android (la meilleure chanson de Radiohead ?), procède de la même construction. On retrouve les nombreux changements de rythmes, des premières paroles déstabilisantes (« unborn chicken voices in my head »), un désarroi face à l'époque (cette terrible phrase, « when I am king, you will be first against the wall »), un regard à la fois désabusé et fasciné envers ses semblables (« Yuppies networking »), le même recours à une non-solution (« Come on rain down on me ») et finalement une conclusion qui ne satisfait pas (« God loves his children »).

             La différence ? La fin des années 90 face à la fin des années 60. John Lennon avait peur d'être un homme, Thom Yorke a peur d'être une machine.

GP

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Commentaires
G
Très bon article ! <br /> Le lien Happiness - paranoid Androïd est très pertinent, je n'y avais jamais pensé jusqu'alors. Comme je te l'ai dit en réponse au message posté sur mon blog, je t conseille aussi d'écouter "Happiness - The Gondola man" d'Elliott Smith.<br /> <br /> A plus...
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